Comment les entreprises investissent bien en temps de crise

Comment les entreprises peuvent saisir les opportunités d'une crise avec les bons investissements

« Ne jamais laisser une bonne crise se perdre ». Cette phrase, adressée par l’ancien chef de cabinet Rahm Emanuel au président américain de l’époque, Barack Obama, montre clairement que les crises ne sont pas seulement une menace, mais qu’elles offrent aussi des opportunités particulières. Les crises peuvent exposer les faiblesses des entreprises qui n’étaient pas visibles en période de prospérité ou dont l’élimination n’était pas importante. Un sentiment d’urgence est créé pour aborder les processus de changement, petits et grands. L’évolution des marchés et des besoins des clients crée également de nouvelles opportunités de croissance. Des opportunités uniques se présentent pour réaliser des investissements ciblés dans l’avenir.

En temps de crise, les entreprises réagissent souvent par un ensemble de mesures standard, axées sur le court terme. Il s’agit notamment de réduire les coûts de manière générale, de réduire les dépenses de marketing, d’innovation et de formation, de réduire les stocks, de retarder les investissements, de reporter ou d’annuler les nouveaux projets, de réduire le personnel et de geler les nouvelles embauches. Bien que ces mesures soient largement répandues, la question est de savoir si se concentrer sur elles est la seule bonne voie à suivre en temps de crise. Les conséquences négatives des réductions de coûts des deux dernières années de la pandémie de Corona se feront sentir à l’été 2022 dans le trafic aérien, par exemple : images d’énormes piles de valises, files d’attente de plusieurs heures dans les aéroports, annulation de milliers de vols.

Que pouvons-nous apprendre des crises passées ?

Les crises sont la norme. Elles se produisent tout le temps dans le monde entier. Par exemple, il y a eu 469 récessions au niveau national depuis 1988 – sans compter les crises régionales et sectorielles. Certes, l’accumulation actuelle de crises peut sembler spéciale. Mais en fait, une crise n’a rien d’unique, de rare ou d’imprévisible [1]. Ainsi, l’analyse des crises passées constitue un bon point de départ pour identifier les meilleures stratégies pour un développement réussi pendant et après la crise.

Gulati, Nohria et Wohlgezogen, dans leur étude de 4 700 entreprises cotées en bourse lors des trois récessions mondiales de 1980 à 1982, de 1990 à 1991 et de la crise des dotcoms de 2000 à 2002, ont constaté que 17 % des entreprises n’ont pas survécu à la récession. Parmi les entreprises restantes, environ 40 % n’avaient pas retrouvé les niveaux de ventes et de bénéfices qu’elles avaient avant la crise, même trois ans après la fin de la récession. Seules 9 % des entreprises ont enregistré de meilleurs ratios financiers après la crise qu’avant et ont largement dépassé leurs concurrents [2].

Qu’est-ce qui distingue ces gagnants ? Ce ne sont pas les entreprises qui ont réduit leurs coûts particulièrement fortement et rapidement. Avec 21 %, ces dernières étaient les moins susceptibles d’afficher une performance post-crise particulièrement réussie. De même, les entreprises qui ont investi de manière particulièrement audacieuse figuraient parmi les gagnants de l’après-crise avec une probabilité de 26 %. Avec une probabilité de 37 %, les entreprises qui ont réussi à trouver un équilibre entre la réduction des coûts pour survivre à la crise et l’investissement pour la croissance future ont eu la probabilité la plus élevée. Tout en réduisant spécifiquement les coûts, elles ont également mobilisé des ressources pour le développement et la mise en œuvre de futures opportunités de croissance.

Une étude des entreprises pendant la crise financière de 2007 – 2009 souligne l’importance de faire des investissements pour l’avenir pendant une récession. Govindarajan, Anup et Iqbal se concentrent sur des entreprises de taille moyenne dans les secteurs généralement les plus durement touchés par une récession (par exemple, la construction aéronautique et navale, les automobiles et les camions, les restaurants). Nous distinguons trois catégories d’investissements réalisés : (1) les investissements dans les infrastructures (par exemple, les bâtiments, les machines), (2) les compétences économiques (par exemple, l’innovation, l’acquisition de clients, la formation), et (3) le nombre d’employés. Les résultats sont clairs. Après la récession, les entreprises les plus prospères dans les trois catégories étaient celles qui avaient augmenté plutôt que diminué leurs investissements pendant la récession [3].

La nécessité d’adopter une perspective à long terme pendant une crise est également soulignée par une étude menée par le Boston Consulting Group. Par rapport aux entreprises qui se sont concentrées sur des mesures à court terme pour assurer la solvabilité et la survie de l’entreprise, les entreprises orientées vers le long terme ont affiché des taux de croissance et des rendements boursiers nettement supérieurs. L’investissement dans la recherche, le développement et l’innovation est un facteur clé à cet égard [4].

Même s’il n’est pas facile pour les entreprises en temps de crise de mettre en œuvre des mesures à court terme pour réduire les coûts et en même temps de faire des investissements pour l’avenir, il reste à dire que les crises ne représentent pas seulement une menace, mais offrent aussi des opportunités. Sur la base des enseignements tirés des crises passées, les quatre principes d’investissement suivants montrent comment les entreprises peuvent tirer parti de cet environnement critique et même amorcer une croissance.

4 principes pour investir en temps de crise

1. Élaborer des scénarios pour l’avenir

Les crises provoquent souvent des changements fondamentaux sur les marchés et les besoins des clients. Par exemple, une étude menée par McKinsey au début de la pandémie de Covid montre que 85 % des cadres interrogés pensent que la crise du Covid aura un impact durable sur les besoins et les désirs de leurs clients au cours des cinq prochaines années. En outre, 90 % d’entre eux estiment que cette crise modifiera fondamentalement la manière dont ils exerceront leurs activités au cours des cinq prochaines années. Dans le même temps, cependant, peu d’entreprises se sentent équipées pour relever ces défis en raison, entre autres, d’un manque d’expertise et de ressources pour concrétiser avec succès les opportunités de croissance [5].

La question la plus importante pour les décisions concernant la sécurisation du modèle commercial actuel ainsi que les investissements actuels et futurs est la suivante : À quoi pourrait ressembler l’environnement pertinent pour l’entreprise à l’avenir ? Le scenario planning aide, entre autres, à répondre à cette question. L’objectif ici n’est pas une prédiction exacte de l’avenir. C’est pratiquement impossible. Il s’agit plutôt de mieux se préparer à l’incertitude, d’anticiper et de gérer le changement, et de gérer l’entreprise de manière proactive. Ou, pour reprendre les mots de l’ancien joueur de hockey canadien Wayne Gretzky, « Un bon joueur de hockey joue là où se trouve le palet. Un grand joueur de hockey sur gazon joue là où le palet sera ». Pour ce faire, la première étape consiste à identifier et à filtrer les informations les plus importantes pour les futurs possibles. Sur la base d’une hiérarchisation des changements cruciaux qui façonneront le marché de demain, il faut ensuite lancer des stratégies et des mesures pour s’adapter aux scénarios possibles et en tirer profit. Pour obtenir une image complète des futurs possibles, il est utile d’impliquer dans ce processus des personnes possédant un large éventail de connaissances et d’expériences [6].

2. Élargir les perspectives

Les crises exigent une évolution de la pensée et des perspectives. Par exemple, la réduction des coûts ne suffit pas à limiter le risque de crise. Comme l’illustre l’exemple de l’aviation ci-dessus, il y a toujours un risque d’échanger le risque de surcapacité contre le risque de sous-dimensionnement. Au lieu d’une approche descendante basée sur un ensemble limité de données telles que les prévisions de bénéfices et les points de référence, une approche ascendante impliquant les propres employés de l’entreprise permet non seulement de réaliser d’importantes économies, mais aussi d’atteindre plus rapidement les objectifs. L’image plus claire des activités et des projets en cours dans l’organisation créée par cette approche aide à définir les priorités stratégiques. Enfin, l’implication des employés donne lieu à des idées innovantes pour modifier les processus et créer de nouvelles opportunités commerciales [7].

Un changement de perspective est également utile pour évaluer le risque des investissements pendant une crise. Souvent, l’accent est mis sur le risque financier. Celui-ci consiste à ce qu’un investissement n’atteigne pas le rendement attendu. En revanche, le risque concurrentiel est souvent négligé si la situation concurrentielle de l’entreprise se détériore en raison de l’absence d’investissements. En d’autres termes, quelle est l’importance du risque de ne pas investir [8] ?

Pour les entreprises, il est important d’équilibrer le risque financier et le risque concurrentiel. Sur la base d’une réévaluation systématique des projets d’investissement, les opportunités non rentables doivent être arrêtées. En revanche, les projets potentiellement rentables ne doivent pas être manqués et doivent être encouragés. Un examen du portefeuille de toutes les possibilités d’investissement est utile à cet égard.

3. Hiérarchiser les investissements grâce à la gestion de portefeuille.

En temps de crise, les entreprises doivent réduire leurs coûts et préserver leur capital pour survivre. Toutefois, ces mesures ne doivent pas être prises sans discernement pour l’ensemble de l’entreprise. Les générateurs de revenus et les moteurs de croissance actuels et futurs doivent être protégés, voire développés, par une augmentation des investissements.

La gestion de portefeuille revêt ici une importance particulière. Ce processus de réflexion trouve son origine dans le domaine de la stratégie financière. Au lieu d’investir tous les actifs dans un seul type d’investissement, il faut les répartir entre différents types d’investissements (par exemple, actions, immobilier), ce qui permet de gérer le risque et le rendement du portefeuille [9]. L’utilisation systématique d’outils permettant d’équilibrer le rendement et le risque devrait également être appliquée à la gestion des investissements en temps de crise.

Dans le contexte des conditions changeantes causées par la crise, la gestion de portefeuille aide à sélectionner, hiérarchiser et lancer les bons projets d’investissement, ainsi qu’à allouer des ressources aux projets respectifs. Un examen attentif du rendement et du risque et l’équilibrage des différentes mesures d’investissement sont particulièrement nécessaires dans le contexte de l’augmentation des coûts du capital et de la diminution des liquidités. Il est notamment nécessaire de parvenir à un mélange équilibré entre les investissements dans le développement des activités existantes (par exemple, par des mesures de numérisation et l’adaptation des canaux de vente) et le développement de nouveaux domaines de croissance. Dans ce contexte, il est également nécessaire de répondre à la question de savoir si toutes les unités commerciales du portefeuille continuent d’avoir un sens pour l’entreprise ou si elles doivent être vendues si nécessaire. Par exemple, Laczkowski et Mysore soulignent que les entreprises qui ont réussi à sortir de la crise financière de 2007 – 2009 ont vendu des entreprises et d’autres actifs plus fréquemment que les entreprises moins performantes [10].

4. Agir tôt et de manière proactive

Compte tenu de l’incertitude écrasante associée aux crises, les entreprises se comportent souvent de manière attentiste. Cette attitude n’est pas utile en cas de crise. Plus on réagit tard aux signes de changement, plus la liberté d’action de l’entreprise est limitée. Ou pour le dire autrement : Les entreprises qui se préparent aux changements de manière précoce et proactive sont les mieux à même de les affronter et de tirer parti des opportunités qu’ils présentent [11]. Les possibilités de tirer profit d’un environnement critique se présentent, entre autres, dans les domaines suivants.

  • Il est plus facile pour les entreprises d’attirer des talents qualifiés, tandis que les concurrents réduisent leurs coûts en supprimant des emplois, en réduisant les salaires et les primes, et en annulant des projets [12].
  • Les périodes de crise offrent une bonne opportunité pour les acquisitions d’entreprises. Des actifs qui étaient auparavant considérés comme peu vendables peuvent devenir disponibles à l’achat. Par exemple, les recherches menées pendant la crise financière de 2007 à 2009 montrent que les entreprises qui ont réalisé d’importantes acquisitions ont enregistré des performances économiques supérieures à celles des autres entreprises [13].
  • Dans de nombreuses entreprises, les crises sont un mauvais moment pour l’innovation. Les projets en cours sont gelés ou carrément arrêtés, et les nouveaux projets ne sont pas lancés. Les recherches menées pendant la pandémie de Covid, en revanche, montrent que les crises peuvent aussi être un bon moment pour l’innovation et que les innovations sont accélérées. Entre autres choses, une crise crée une plus grande urgence pour les innovations et les investissements sont concentrés sur les projets d’innovation qui ont les meilleures chances de succès [14].

Conclusion

Les crises ne doivent pas être perçues uniquement comme une menace pour les entreprises. Au contraire, les opportunités inhérentes à une crise doivent également être reconnues et mises en œuvre. Les entreprises sortent gagnantes des crises si elles parviennent à trouver un équilibre entre, d’une part, les mesures à court terme visant à sauvegarder leur existence et, d’autre part, une perspective à long terme et sa mise en œuvre par des investissements ciblés.

Sources

[1] Nadya Zhexembayeva, The Chief Reinvention Officer Handbook: How to Thrive in Chaos, 2020.

[2] Ranjay Gulati / Nitin Nohria / Franz Wohlgezogen, Roaring Out of Recession, Harvard Business Review, https://hbr.org/2010/03/roaring-out-of-recession, March 2010.

[3] Vijay Govindarajan / Anup Srivastava / Aneel Iqbal, Should Midsize Companies Play Offense or Defense in a Downturn?, Harvard Business Review, https://hbr.org/2021/03/should-midsize-companies-play-offense-or-defense-in-a-downturn, March 17, 2021.

[4] Martin Reeves / David Rhodes / Christian Ketels / Kevin Whitaker, Advantage in Adversity: Winning the Next Downturn, https://www.bcg.com/publications/2019/advantage-in-adversity-winning-next-downturn, February 04, 2019.

[5] Jordan Bar Am / Laura Furstenthal / Felicitas Jorge / Erik Roth, Innovation in a crisis: Why it is more critical than ever, https://www.mckinsey.com/business-functions/strategy-and-corporate-finance/our-insights/innovation-in-a-crisis-why-it-is-more-critical-than-ever, June 17, 2020.

[6] Martin Schwirn, Small Data, Big Disruptions: How to Spot Signals of Change and Manage Uncertainty, 2021.

[7] Patrick Daoust / Paul Simon, In a Downturn, Include Your Employees in Cost-Cutting Decisions, Harvard Business Review, https://hbr.org/2020/05/in-a-downturn-include-your-employees-in-cost-cutting-decisions, May 05, 2020.

[8] Pankaj Ghemawat, The Risk of Not Investing in a Recession, MIT Sloan Management Review, https://sloanreview.mit.edu/article/the-risk-of-not-investing-in-a-recession, January 15, 1993.

[9] Ron Ashkenas, Manage With a Portfolio Mindset, Harvard Business Review, https://hbr.org/2012/09/manage-with-a-portfolio-mindse, September 04, 2012.

[10] Kevin Laczkowski / Mihir Mysore, What Companies Should Do to Prepare for a Recession, Harvard Business Review, https://hbr.org/2019/05/what-companies-should-do-to-prepare-for-a-recession?, May 09, 2019.

[11] Rita McGrath, Seeing Around Corners: How to Spot Inflection Points in Business Before They Happen, 2019.

[12] Vijay Govindarajan / Anup Srivastava, How Companies Should Invest in a Downturn, Harvard Business Review, https://hbr.org/2022/06/how-companies-should-invest-in-a-downturn, June 17, 2022.

[13] Brian Salsberg, The Case for M&A in a Downturn, Harvard Business Review, https://hbr.org/2020/05/the-case-for-ma-in-a-downturn, May 17, 2020.

[14] Elsbeth Johnson / Fiona Murray, What a Crisis Teaches Us About Innovation, MIT Sloan Management Review, https://sloanreview.mit.edu/article/what-a-crisis-teaches-us-about-innovation, November 30, 2020.

Marcus is an entrepreneur, consultant, trainer and facilitator. As managing director of zagmates, he helps companies to thrive on their journey of strategic growth and innovation. In addition, Marcus is CEO of Boardle.io - the leading independent portal for online workshop templates. He is passionate about strategic foresight, business modelling and measurement, making ideas tangible and focusing on their impact. Prior, he had been working for more than 15 years in leading positions in international industrial companies focused on marketing, sales, business development and product management.

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